Cher Pierre,
Cher Pierre ; permettez-moi de vous donner du cher car vous m’êtes réellement cher même si nous ne nous connaissons pas. Vraiment, ne voyez aucune ironie dans ces propos, il n’y en a pas ; vous m’êtes cher car je vous sais animé des meilleurs sentiments, de ces sentiments qui font mon admiration sincère et – pourquoi ne pas l’avouer – de la nostalgie des anges déchus pour les paradis perdus. Mais voilà, je n’y crois pas ou plutôt je n’y crois plus. J’ai perdu cette foi en des lendemains qui chantent, cette espèce d’espérance laïcisée, pauvre substitut de l’ancienne religion désormais morte.
Pour n’être plus, cette ancienne religion n’en finit cependant pas de projeter ses ombres sur notre condition moderne et même post-moderne. Comme le prévoyait Nietzsche Le nationalisme le plus bas du front, le « nationalisme des bêtes à cornes » a pu lui servir de succédané et – même aujourd’hui, même après deux conflagrations mondiales, même après Deir Zor et Auschwitz, même après le Rwanda et après les innombrables avatars de ces sommets d’horreur – il continue d’animer la sinistre fantasmagorie de la scène politique internationale, parfois déguisé avec obscénité sous les oripeaux du Droit international.
Cher Pierre, je donnerais beaucoup pour qu’il en soit tel que vous le voudriez. Je donnerais presque tout mais ce serait en vain. Comme je vous l’ai déjà écrit, je n’ai plus cette trompeuse espérance, si je l’ai jamais eue. Car voyez-vous, quand l’ennemi vous a déclaré ennemi, toutes vos protestations d’amour ni peuvent rien. C’est ce que disait avec humour le regretté Pierre Desproges et c’est ce qu’énonçait avec beaucoup plus de sérieux le non moins regretté Julien Freund que vous abhorrez sans doute si vous l’avez lu.
Vous avez raison cependant sur un point, il n’y a pas que des ennemis parmi les immigrés. Sans doute même, y-a-t’il surtout parmi eux une immense majorité de personnes désireuses de s’intégrer et prêtes à tout pour cela. Comment pourrais-je prétendre le contraire moi qui suit le fruit de l’union d’un fils d’immigré né apatride et d’une Française de souche ?
Mais il y aussi parmi nos actuels clandestins et parmi leurs soutiens de l’ultragauche des personnes qui détestent la France. Qui la réduisent à une somme d’injustices et de crimes, de spoliations et d’asservissements. Cela n’a-t-il jamais existé ? Evidemment que cela a existé mais réduire la France à ce roman antinational est aussi malhonnête et délétère que de la glorifier dans la seule lecture du roman national. Si certains de ces clandestins agonisent la France de leurs médiocres ressentiments, les plus actifs de ceux qui les soutiennent exècrent, eux, l’idée même de nation. « Prolétaires de tous les pays… » nous enjoignait l’ancienne antienne. « No borders » nous intime la nouvelle injonction, cette fois dans la langue des Maîtres.
Oui mais voilà. Partout et toujours, et à leur corps défendant – j’insiste à leur corps défendant – les déracinés ont bien plus servi le grand Capital que la cause des Damnés de la terre. Et face à l’Empire, c’est la nation qui protège, la nation qui s’est constituée en Etat pour défendre ses intérêts propres et pour lui assurer le progrès social qui sera le plus conforme à ses attentes. Vous connaissez sans doute mieux que moi la méfiance de Marx et d’Engels eux-mêmes envers le Lumpenprolétariat « cette lie d’individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes, est de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est absolument vénale et importune. Tout chef ouvrier qui emploie ces vagabonds comme gardes du corps, ou qui s’appuie sur eux, prouve déjà par-là qu’il n’est qu’un traître au mouvement ».
Vous savez sans doute mieux que moi les positions du grand Jaurès exprimées lors de son discours pour un « socialisme douanier » où il assénait sans ambages « Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capital international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous voulons protéger la main-d’œuvre française contre la main-d’œuvre étrangère, non pas je le répète, par un exclusivisme chauvin mais pour substituer l’international du bien-être à l’internationale de la misère. ». Avouez-le, si les mots sont importants, le texte que vous conspuez est bien modéré au regard de ces violentes diatribes de nos modèles de vertu.
Aussi, cher Pierre, si je n’ai plus d’espoir, je suis aussi fatigué ; exténué même que chaque apologie de la nation soit vue comme raciste par des personnes qui ne conçoivent le monde qu’en noir et blanc, qui pensent race, qui respirent race, qui ruminent race. Je me moque des races mais pas des nations qui ont toutes, sinon leur génie, du moins leur légitimité, celle d’une histoire faite d’apports variés et d’influence diverses. Les nations ne sont pas monolithiques, elles sont syncrétiques et constituent le réceptacle où se sédimentèrent lentement d’innombrables strates. En multipliant le rythme et l’ampleur des migrations, en se servant au besoin des cataclysmes politiques ou des catastrophes environnementales pour araser ces strates sédimentées, des forces agissent qui n’ambitionnent que de détruire les nations, seul et dernier rempart à leur toute puissance. Leur combat est vain, nous le savons tous les deux, car partout et toujours la résistance renaît et partout et toujours cette renaissance prend une forme nationale (car on serait finalement bien en peine d’en imaginer une autre). Mais, ces forces sont par nature aveugles et amnésiques et toujours et encore elles essaieront.
Une dernière chose peut-être : vous avez mentionné l’expérience arménienne et je vous en remercie. Deux remarques à ce sujet : Premièrement, les Arméniens qui ont été « accueillis » en France ne l’ont pas été par grandeur d’âme mais parce que le Capital cherchait très prosaïquement des bras pour repeupler les usines que ses propres guerres avaient dépeuplées. Oui, mon grand-père, ma grand-mère et sans doute les vôtres ont fait partie de ce Lumpenprolétariat déplacé et balloté au rythme d’intérêts profondément antihumanistes, pour ne rien dire de ceux que des filières d’immigration organisées par le patronat allait chercher jusque dans les orphelinats de Beyrouth ou d’Alep. Ne cherchez pas de cause philanthropique à cet accueil des Arméniens, il n’y en eut pas. Dans un autre registre, pendant la guerre d’Algérie, le patronat continua en toute connaissance de cause d’importer des immigrés algériens qui étaient autant de soldats du FLN. Difficile d’imaginer plus antinational.
Deuxièmement, ces Arméniens eux-mêmes avaient « accueilli » si j’ose dire – et bien malgré eux – des « migrants » arabes, puis turcs et kurdes jusqu’à ce qu’ils devinrent minoritaires dans leur propre pays et qu’ils finissent par s’y faire massacrer par des gens qui n’avaient manifestement aucune intention de s’intégrer. Ne ressentez-vous pas un malaise en voyant aujourd’hui ces occupants étrangers déguisés en migrants défiler en plein Paris pour réclamer des droits imaginaires quand les Français sont pour leur part assignés à résidence ? Avez-vous réalisé le contraste entre la férocité avec laquelle les revendications sociales des Gilets Jaunes ont été écrasées et la pusillanimité du pouvoir face aux guerres ethniques entre émirs arabes et tchétchènes à Dijon ? N’y voyez-vous pas quelque résonance inquiétante ? Tout cela n’est pas ma conception de la France et, effectivement, à cet égard, l’histoire arménienne devrait nous rendre lucide.
Toute mon amitié réitérée.
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