Ilham Aliev, autocrate d'Azerbaïdjan |
Ce 9 février, Ilham Aliev s'est lancé dans une de ces diatribes dont il a le secret. Prenant la parole lors du sixième congrès de son parti – le « nouvel Azerbaïdjan » - le Président de ce pays a déclaré que « les khanats d'Erevan, du Zanguezour et de Göktcha sont des terres historiques du peuple d'Azerbaïdjan » et que « les Azerbaïdjanais devraient retourner sur leurs terres historiques. C'est notre objectif politique et historique que nous devrions remplir progressivement ».
Problème, les territoires cités constituent aujourd'hui la quasi-totalité de la petite République d'Arménie voisine. Le Khanat d'Erevan représente le résidu oriental de la plaine d'Ararat qui constitue le centre du pays – le reste est en Turquie actuelle – le Zanguezour est cette zone de hauts plateaux et de montagnes qui fait la jonction de l'Arménie à l'Iran et le Göktcha est le nom turc du lac Sevan. On notera aussi avec intérêt l'utilisation du terme suranné de « khanat » rappelant l'ancienne domination perse sur la région.
Inutile de préciser que cette déclaration parfaitement irresponsable a été appréciée à sa juste valeur en Arménie...
Inutile de préciser que cette déclaration parfaitement irresponsable a été appréciée à sa juste valeur en Arménie, déjà peu encline à goûter les divagations de l'homme fort de Bakou. Surtout, elle annule totalement les effets de la rencontre entre les ministres des affaires étrangères des deux pays, qui s'est tenue à Cracovie ce 18 janvier, dans une atmosphère inhabituellement positive. Forts de ce semblant de confiance retrouvée, les médiateurs du groupe de Minsk de l'OSCE avaient voulu y voir un espoir de progrès quant au statut de la République d'Artsakh et au règlement du conflit du Karabagh associé. Ne doutons pas que pour eux aussi, ça a dû être la douche froide. Ne doutons pas non plus que la crédibilité et la fiabilité du président azerbaïdjanais doit en sortir grandement renforcées à leurs yeux !
Ceci dit, il faut reconnaître plusieurs mérites à la provocation d'Aliev. D'une part celle de nous rappeler qu'avant 1918, les populations de la région étaient très intriquées. Si Erevan était effectivement à majorité tatare – ces populations nomades turcomanes qu'on appelle aujourd'hui azéries – Bakou possédait une bourgeoisie arménienne et russe et un prolétariat tatar. Tbilissi comptait plus d'Arméniens que de Géorgiens et le Nakhitchevan – aujourd'hui sous souveraineté azerbaïdjanaise était totalement arménien tout comme le Karabagh. Sous ce jour, les revendications d'Aliev sont assez hasardeuses et pourraient tout à fait être retournées contre lui.
On voit que le régime de Bakou n'est absolument pas intéressé par la conclusion d'une paix juste et définitive avec les républiques d'Arménie et d'Artsakh.
D'autre part, on voit que le régime de Bakou n'est absolument pas intéressé par la conclusion d'une paix juste et définitive avec les républiques d'Arménie et d'Artsakh. En conséquence, on se demande bien pourquoi ces deux pays – militairement en situation de force et finalement plus robustes d'un point de vue économique qu'un émirat aux ressources pétrolières chancelantes – concéderaient désormais quoi que ce soit si c'est pour s'entendre revendiquer encore plus demain. Face à des intentions si fondamentalement belliqueuses, que peuvent penser faire Erevan et Stepanakert si ce n'est se défendre et ne rien lâcher ?
Enfin, les propos d'Aliev, bien que proférés sous une forme particulièrement provocantes, reprennent une ligne politique constante et ancienne de l'Azerbaïdjan depuis la chute de l'URSS. C'est là le dernier enseignement, sans doute le plus intéressant : Car Bakou prétend revendiquer d'une part les frontières de l'ancienne République Socialiste Soviétique mais aussi celles alléguées de la Première République indépendante d'Azerbaïdjan (1918-1920) – qui, avec aussi peu de succès, réclamait déjà toute l'Arménie. Cette incohérence manifeste souligne qu'en vérité – et c'est bien une vérité de droit international – la frontière entre les entités arménienne et azerbaïdjanaise n'a jamais été définie, ni avant la fin de la Russie tsariste, ni après. L'attaque de l'Azerbaïdjan sur l'Artsakh arménien provient de cette incertitude fondamentale résultant de l'histoire complexe et tourmentée de la région. A ce titre-là, les médiateurs internationaux qui insistent sur l'intangibilité des frontières s'appuient sur des chimères. En conséquence, si frontières il faut, il n'y a que celles d'aujourd'hui qui vaillent. Et dans ces frontières, n'en déplaise à Ilham Aliev, l'Artsakh et l'Arménie sont souverains.
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