Devoir de vacances....
Durant ces congés d'été, les contingences familiales m'ont conduit à flâner dans un grand magasin de la 5ème avenue, à New York, appartenant à une célèbre enseigne de vêtements à la mode. En vérité, je dois confesser que ce n'était pas la première fois que je me rendais en ce lieu mais, peut-être plus encore qu'il y a quelques années, j'y ai été frappé par les valeurs qu'il promeut consciemment ou inconsciemment.
Durant ces congés d'été, les contingences familiales m'ont conduit à flâner dans un grand magasin de la 5ème avenue, à New York, appartenant à une célèbre enseigne de vêtements à la mode. En vérité, je dois confesser que ce n'était pas la première fois que je me rendais en ce lieu mais, peut-être plus encore qu'il y a quelques années, j'y ai été frappé par les valeurs qu'il promeut consciemment ou inconsciemment.
Que les responsables de l'enseigne en question se rassurent, je ne suis mû par aucune hostilité particulière à l'égard de leur marque qui ne doit d'être prise ici en exemple que parce qu'elle illustre de manière peut-être un peu plus caricaturale que les autres les tendances lourdes qui affectent les sociétés occidentales.
A l'entrée donc, nous sommes accueillis par de superbes éphèbes aux jeans moulants et aux torses nus. Autour de ces jeunes hommes aux sourires impavides, à la poitrine large et aux abdominaux impressionnants se presse une foule de midinettes - jeunes ou moins jeunes - avides de se faire immortaliser auprès de ces sculpturaux modèles dont c'est en vérité la fonction de jouer ainsi le rôle de produit d'appel (gratuit) du magasin.
Passée la devanture, nous entrons - ou devrais-je écrire nous "antrons" - dans un espace de galeries obscures dont la pénombre évoque irrésistiblement quelque grotte matricielle prodiguant, à défaut de clarté et de lucidité, un sentiment captieux de confort et de sécurité. Là des vendeurs de tous sexes - mais invariablement choisis sur des critères de jeunesse, de beauté et de sveltesse - un détail qui a son importance au pays du Big Mac - s'affairent à ranger des piles d'habits entre des clients tous aussi jeunes qu'eux, éventuellement suivis de quelques darons hébétés par un lieu où tant d'efforts sont déployés pour substituer les sens à l'intellect. Car si l'oeil n'y distingue qu'à peine les étoffes que la raison est censée apprécier, l'endroit est également baigné de parfums synthétiques et d'une assourdissante musique electro-techno-groove mettant en transe les cibles adolescentes de l'enseigne, tout autant qu'elle anesthésie le pouvoir de résistance de leurs aînés. Pour un peu, on se croirait dans ce fameux roman de Stanislas Lem où des psychotropes habilement diffusés donnaient l'illusion de la substance au néant et de la noblesse au commun.
Un peu partout, des affiches ou des peintures montrant de beaux jeunes hommes - les mêmes que les vendeurs - tapissent les murs et mettent en valeurs une esthétique du corps qui n'est pas sans rappeler celle que pratiquaient les nazis ou les soviétiques. Au sol-sol, on trouve même un grand bronze virilement posté à côté des fauteuils moelleux destiné à soulager les jambes des fashion victims ou de leurs parents que guette l'excès de shopping.
L'avènement du dernier homme
Érotisation des corps donc, mais aussi exaltation d'une nature fantasmée aussi artificielle et dévitalisée qu'aseptisée comme en témoignent et les chemises à carreaux made in China qui prétendent rappeler celles des rudes trappeurs de l'Ouest américain, et le massacre d'élan - emblème de la marque - qui trône à l'entrée du magasin.
Tout cela n'a qu'un but, exalter la personne dans l'exact sens étymologique de ce mot: celui du masque de comédie, dénué de toute hypostase; celui de l'individu inachevé, irresponsable donc, incapable d'être le sujet de sa volonté mais qui, au contraire, sera l'objet de celles du marché.
Quand on regarde le clin d'oeil que nous adressent ces superbes athlètes en poster, on ne peut que songer à celui du dernier homme de Nietzsche. Leur regard est vide et intermittent, il ne recèle nulle autre volonté que celle de se dissoudre dans la masse de ses semblables - le conformisme des tenues n'étant que le reflet de celui des pensées, ou plutôt des réflexes cérébraux.
Ce dernier homme, c'est celui de la téléologie du néant. La misère, la maladie et la mort lui font horreur ; le confort, l'hédonisme, le pulsionnel dans l'immédiateté de l'instant ont remplacé toute aspiration à la transcendance. Mais avec un bel habit, on s'en fiche !
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