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Fukushima: une catastrophe médiatique ?

Les dramatiques évènements qui se déroulent actuellement aux Japon font l'objet d'un traitement médiatique aussi massif que particulier, et qui mérite commentaire.

Nul ne niera que les dysfonctionnements qui affectent la centrale nucléaire de Fukushima sont maintenant particulièrement graves. Si la situation a pu un temps donné l'impression d'être sous contrôle, il est désormais clair que ce n'est plus le cas et que nous avons effectivement affaire à un accident plus que sérieux.

Cependant, indépendamment de cette gravité avérée, il est aussi clair que, pour les médias, cela devait nécessairement être grave simplement parce qu'il s'agit du nucléaire. En effet, par une curieuse suspension de la raison, une partie dominante de la classe médiatique assimile automatiquement tout ce qui touche au nucléaire à Tchernobyl, quand ce n'est pas Hiroshima. Un peu comme si tout lieu d'internement était forcément Auschwitz, toute usine chimique, Bhopal, tout accident de voitures, Los Alfaques ! A ce sujet, je me rappelle d'une ancienne dépêche de presse qui relatait sur un ton catastrophiste un "incident dans une centrale nucléaire" et où finalement, il était question d'un opérateur tombé d'un escabeau en changeant une ampoule.


La conséquence de ce biais est particulièrement patente dans beaucoup d'interviews généralement conduit "à charge" par un journaliste qui ne pose pas des questions destinées à éclairer la compréhension des auditeurs (et la sienne) mais par lesquelles il se contente de projeter ses propres angoisses. Si l'expert interrogé confirme le caractère catastrophique des évènements en cours, les questions qui viennent généralement après tournent autour de la recherche de boucs-émissaires et des mesures que des responsables laxistes auraient dû prévoir. Si l'expert ramène ces évènements à leur juste proportion, le journaliste insinue que, quand même, "on nous cache tout, on nous dit rien" et l'expert en question passe pour un des membres de la conjuration destinée à masquer la vérité. 

Tous ces processus médiatiques - et en vérité psychologiques - se déroulent de manière totalement indépendante de questions telles que l'impact réel des évènements dont on parle. Prenons le risque de le dire: il est en effet probable que le Tsunami dont le Japon a été frappé a fait infiniment plus de dégâts humains et matériels que n'en feront les centrales de Fukushima. Mais cela ne compte pas. De même, quelque que soit le bilan sanitaire réel de Tchernobyl - un bilan très controversé - il reste probablement très en deçà de l'impact cumulé et global de l'industrie pétrolière à laquelle nos économies sont dopées. Il ne s'agit pas ici de dire que le nucléaire constitue une panacée - ce n'est pas le cas - mais que, dans l'ordre des problèmes et des menaces, il reste bien moins préoccupant que celui des combustibles fossiles et de l'effet de serre qui va avec.

L'un des éléments qui contribue de manière importante - me semble-t-il - à de telles perceptions distordues de la réalité réside dans le cursus des journalistes opérant dans les grands médias (il en va autrement de la presse spécialisée). Disons-le sans ambages, la culture scientifique et technique de la plupart d'entre eux est crasse. En conséquence, tout sujet comportant un important volet technologique - c'est finalement assez fréquent dans le monde dans lequel nous vivons - leur apparaît comme "très compliqué", "complexe", obsur et finalement insaisissable. Le traitement de tels sujets est alors fait soit sur le mode de l'angoisse - lorsque le sujet est réellement ou supposément inquiétant - soit sur le mode de la dérision goguenarde : "Mais alors, Professeur Truc, est-ce que c'est vraiment intéressant d'étudier la résistance des matériaux ? Et puis est-ce que c'est vraiment utile ?" On peut d'ailleurs assez facilement percevoir le goût immodéré des journalistes pour des experts scientifiques - je ne citerai pas de noms - dont l'aspect et le comportement correspondent bien à l'idée caricaturale que s'en font les médias, au choix ceux du docteur Folamour ou ceux du professeur Cosinus.

Le contraste est particulièrement saisissant lorsqu'on met en regard le comportement des mêmes journalistes sur des sujets littéraires, culturels, sociologiques ou politiques sur lesquels ils se sentent (parfois à tort!) en terrain connu. Ces sujets peuvent être objectivement tout aussi "complexes" et "obscurs" pour les auditeurs, il n'en sont pas pour autant traités sur ce mode par les journalistes issus de khâgnes et de sciences-po. Après tout, est-il vraiment acquis que le structuralisme et la pensée de Levy-Strauss soient beaucoup plus accessibles que les lois de la thermodynamique ? Rien n'est moins sûr ! Et je crois n'avoir jamais entendu un journaliste demandé à un metteur en scène "Alors, M. Truc, est-ce que c'était vraiment utile d'écrire cette pièce de théâtre ?"


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