Sondage exclusif réalisé par l’Ifop pour "Valeurs Actuelles"
Les opinions européennes rejettent plus que jamais l’entrée de la Turquie dans l’Union. Entre les peuples et la Commission de Bruxelles, l’incompréhension est totale.
Voici un sondage que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, farouche partisan d’intégrer la Turquie à l’Union, aurait sans doute intérêt à regarder dans le détail : il annonce en effet une crise majeure si les institutions communautaires, sûres de leur bon droit, continuent à faire comme si elles avaient pour mandat de contourner, l’un après l’autre, les obstacles s’opposant à l’entrée de la Turquie en Europe…
« Promesse de 1963 » ou pas (allusion à l’accord d’association signé cette année-là entre le jeune Marché commun et Ankara, incluant pour la première fois la perspective d’une adhésion turque), les choses ont bien changé depuis quarante-cinq ans. À commencer par la Turquie ellemême, désormais gouvernée par un parti islamiste.
Surtout, c’est l’opinion publique européenne qui évolue, elle qui, dès 2004, date à laquelle ont officiellement débuté les négociations d’adhésion, s’interrogeait déjà sur le bien-fondé d’une Asie mineure rat- tachée politiquement au continent européen.
Un sondage réalisé par l’Ifop pour le Figaro, sur un échantillon représentatif de 5 000 citoyens européens, indiquait alors que 68 % des Français s’opposaient à un élargissement de l’Union vers la Turquie, imités par 63 % des Allemands.Mais 78 % des Espagnols y étaient favorables, de même que 67 % des Italiens et 58 % des Britanniques.
Quatre ans plus tard, Valeurs actuelles a voulu savoir comment la tendance avait évolué, et a demandé à l’Ifop de renouveler l’opération en mobilisant un échantillon encore plus représentatif, portant sur 7 007 personnes issues de sept pays (Allemagne,France,Grande- Bretagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Espagne) représentant cette fois les deux tiers de la population de l’Union.
Le résultat est sans appel : l’opposition à l’adhésion turque s’est accrue de manière significative, se retournant carrément chez ceux qui y étaient favorables. 51 % des Espagnols voient désormais des inconvénients à une Turquie européenne (+ 29 points en quatre ans !), ainsi que 56 % des Italiens (+ 23 points) et 57 % des Britanniques (+ 15 points). Ce sont les Français qui restent les plus hostiles à cette perspective (80 % des suffrages exprimés, soit 12 points de plus qu’en 2004), suivis des Allemands (76 %, + 13 points), des Belges (68 %) et des Néerlandais (67 %).
En France même, la radiographie de l’opinion est instructive. Si l’on raisonne non plus en suffrages exprimés (ceux qui ont émis un avis en répondant par oui ou par non) mais en résultats bruts, on s’aperçoit que 14 % seulement des personnes interrogées accepteraient de voir la Turquie rejoindre l’Union européenne, 55 % s’estimant contre, et 31 % se déclarant sans opinion.
L’opposition majoritaire à l’intégration turque est la règle, quels que soient la classe d’âge, la région d’origine, et même l’engagement politique. Deux curiosités : les 25-34 ans y sont encore moins favorables (11 %) que les plus de 50 ans (15 %), et l’extrême gauche davantage opposée encore que les électeurs socialistes !
Mais c’est, sans surprise, à droite qu’on rencontre l’opposition la plus farouche à l’entrée de la Turquie en Europe : 61 % de rejet chez les électeurs de François Bayrou, 68 % chez ceux de Nicolas Sarkozy, et 81 % chez ceux de Jean- Marie Le Pen.
Pour l’Élysée, le signal est limpide : il démontre a posteriori que le candidat Nicolas Sarkozy était en phase avec l’opinion quand il s’opposait à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin, l’un et l’autre farouches partisans de l’adhésion d’Ankara. Et indique, pour l’avenir, le risque qu’il y aurait à rompre avec cet engagement, au prétexte que la France préside, jusqu’à la fin de l’année, les institutions européennes.
Conçu comme une alternative à l’intégration turque, le projet d’union méditerranéenne sera-t-il suffisant pour désarmer la volonté de la Commission de Bruxelles de faire avancer coûte que coûte les négociations ? En faisant part publiquement de ses hésitations à répondre à l’invitation qui lui était faite de se rendre à Paris, le 13 juillet, lors du lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM), le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a bien montré qu’il n’était pas dupe de la manoeuvre. Et José Manuel Barroso a insisté pour que, dans la déclaration finale du sommet de Paris, il soit expressément stipulé que la mise en place de l’Union pour la Méditerranée est « indépendante de la politique d’élargissement de l’Union européenne, des négociations d’adhésion et du processus de pré-adhésion ».
Pour Bruxelles, l’Union pour la Méditerranée n’est pas une alternative
Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a d’ailleurs luimême indiqué que l’opposition connue de Nicolas Sarkozy à l’adhésion d’Ankara n’entraverait en rien la poursuite des pourparlers entre le gouvernement turc et la Commission européenne.
Huit chapitres de négociations sur trente-cinq sont actuellement ouverts : science et recherche, politique industrielle et entreprises, statistique, contrôle financier, réseaux transeuropéens, protection de la santé et du consommateur, droit des sociétés et droit de la propriété intellectuelle. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 pourrait décider de l’ouverture de deux nouveaux chantiers afin de porter à dix le nombre de chapitres négociés. Il s’agirait de ceux relatifs à la société de l’information et à la libre circulation des capitaux.Une politique des petits pas qui illustre « l’effet d’engrenage » préconisé jadis par Jean Monnet.
Seule chose certaine : dès le 1er janvier 2009, la France, dégagée de l’obligation de réserve que lui impose la présidence de l’Union européenne, sera de nouveau libre de ses mouvements…
Valeurs Actuelles
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